La mémoire est un lieu discursif des plus notoires. Tout comme le potentiel manipulatif du discours, elle s'inscrit de tradition aristotélicienne dans la pensée d'une interrelation langagière inséparable du préconstruit social. Si le langage se déploie en vertu d'une actantialité du donner et du recevoir (émetteur-récepteur), les positions de prise de parole ainsi tranchées manifestent à l'égard du contenu sémantique de l'objet du message une attitude morale subséquente à des savoirs de référence dont la mémoire est l'ordonnatrice. En son principe donc tout référent historique objectal est sujet à la manipulation en ce qu'il inaugure un « paradigme de la mémoire stratégique » (Gensburger, 2002) incluant un usage tendancieux de « prémisses implicites » (Houessou, 2014) et posant l'équation d'une équivalence axiologique entre le « devoir de mémoire » en tant que « slogan réflexe d'aujourd'hui » et « arme idéologique » (Conan, Rousso, 1996 : 397). Car toute convocation du fait historique est narration nouvelle or « l'idéologisation de la mémoire est rendue possible par les ressources de variation qu'offre le travail de configuration narrative » (Ricœur, 2000 : 103). Ces niveaux d'interférence entre mémoire et manipulation sont susceptibles de s'enrichir via l'imaginaire que l'on envisagera selon le mot de Charaudeau pour qui : « L'imaginaire est effectivement une image de la réalité, mais en tant que cette image interprète la réalité, la fait entrer dans un univers de significations » (2015 : 158). La présente communication se propose d'exploiter ces considérants conceptuels à partir de discours politiques ou formules impliquant des mythes clés de la nation ivoirienne, notamment celui du Père de la nation et de l'indépendance, celui de la symbolique des devise et armoiries nationales et ceux des concepts d'envergure programmatique que sont « L'exception ivoirienne », « L'ivoirien nouveau », « La refondation » et « L'émergence ». Le projet de cette étude est d'exploiter les considérants conceptuels de la mémoire et de la manipulation à partir de discours politiques ou formules impliquant des mythes clés de la nation ivoirienne, notamment celui du Père de la nation et de l'indépendance, celui de la symbolique des devise et armoiries nationales et ceux des concepts d'envergure programmatique que sont « L'exception ivoirienne », « L'ivoirien nouveau », « La refondation » et « L'émergence », et l'hypothèse fondamentale en est que les réseaux sociaux sont un outil de vulgarisation qui participe activement à la manipulation discursive à partir de la mémoire collective comme mythème argumentatif c'est-à-dire susceptible d'argumenter des mythes populaires. Dans ce contexte, les hommes politiques qui en font usage campent des postures discursives afférentes à la nature de l'autorité énonciative revendiquée par eux. L'intérêt de questionner la construction sociale de la mémoire, les imaginaires ou les stratégies de manipulation autour des mythes fondateurs de la nation en lien avec les réseaux sociaux est de révéler une dimension manichéenne des réseaux sociaux en rapport avec la construction de la démocratie en Côte d'Ivoire. Les concepts de République et d'État impliquent, pour le citoyen, une liberté d'expression régie par la législation dont le peuple est comptable. En libéralisant la parole, les TICs, favorisent l'expression du citoyen lambda mais l'exposent à des discours manipulatifs de tous ordres de la part des hommes politiques. L'interaction consubstantielle à ce mode de communication permet d'évaluer la portée de ces discours dont la mémoire est le considérant conceptuel par excellence. L'arrière plan théorique et méthodologique étant l'analyse du discours, les procédés argumentatifs relevant de la défiance ou de l'allégeance à l'autorité politique sont exploités en corpus, et les données analysées proviennent de discours et d'énoncés produits et commentés sur les réseaux sociaux. Les extraits ci-joints ont été recueillis sur le fil de discussion engendré suite à la publication par Mamadou Koulibaly, ex-président de l'assemblée nationale et président de parti politique, sur son compte Twitter, d'un propos polémique au sujet des armoiries nationales. Lui répondent alors le ministre Nabagné Koné et divers internautes.
Bibliographie
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