Le développement des technologies de l'information et de la communication (TIC), notamment d'internet, a ouvert des possibles pour l'enseignement à distance tant en termes de lieux d'apprentissage qu'en termes de publics apprenants. Ces possibles génèrent de nombreux espoirs relatifs à la démocratisation de l'accès à l'enseignement supérieur en Afrique Subsaharienne dont les capacités d'accueil sont loin de pouvoir répondre à la demande.
La solution est indiquée par les organisations internationales dans la mise à distance des enseignements avec en perspective la démocratisation de l'accès à l'enseignement supérieur, les économies d'échelles liées à l'accroissement fulgurant du public cible, et aussi l'économie de bâtiments et donc de charges.
Ainsi, en 1997, alors que l'utopie d'un monde meilleur porté par la « société de l'information » (Breton, 2002) battait son plein, deux universités virtuelles sont lancées en Afrique : l'Université Virtuelle Francophone (UVF) lancée par l'Agence Universitaire de la Francophonie (AUF), et l'Université Virtuelle Africaine (UVA) lancée par la Banque mondiale.
Dans le cadre d'une recherche doctorale, la question s'est posée de comprendre quelle démocratisation de l'enseignement supérieur pouvait être espérée alors que le moyen qui devait la rendre possible ne pouvait tout simplement pas fonctionner par manque d'infrastructures.
En effet, la disponibilité des TIC et même des lignes téléphoniques était à l'époque très limitée (18.5‰ en Afrique contre 60.2‰ en Asie, et plus de 300‰ en Europe et Amérique du Nord). De plus, la plupart des lignes téléphoniques se trouvaient en zone urbaine, de même que les rares accès internet auquel les taux d'accès étaient globalement très faibles (0.2‰ contre 25‰ à l'échelle mondiale et 167‰ en Europe et Amérique du Nord). En outre, la majorité des internautes africains vivait en Afrique du Sud (Banque Mondiale, 2002).
L'une des premières pistes suggérées par la littérature se trouve dans la perspective de marchandisation des contenus (Thibault, 2007) qui se vérifie dans le cas de l'UVA puisqu'entre 1997 et 2002, toutes les ressources pédagogiques sont gérées par la Banque mondiale à Washington et font l'objet de transactions commerciales (Loiret, 2007). Toutefois, en Afrique Subsaharienne, la marchandisation des contenus se heurte également au problème du manque d'infrastructure ainsi qu'au manque de capacité de financement des publics apprenants. De plus, à partir de 2004, le subventionnement par la Banque Africaine de Développement (BAD) donne lieu à la production de contenus définis comme des Ressources Educatives Libres qui, selon un entretien mené auprès d'un ancien responsable de l'UVA (Lendrin, 2018), ne peuvent être ni vendues ni considérées à la charge des étudiants.
Alors pourquoi ne pas commencer par financer le développement des infrastructures ? C'est à cette question que l'étude de la genèse de l'UVA invite à chercher une réponse. D'autant plus que 20 ans plus tard, avec les capitaux[1] investis par les organisations internationales couplés à son implantation au sein de 53 institutions universitaires de 30 pays d'Afrique, l'UVA a, selon son site web, formé « 63 823 étudiants depuis la création en 1997 ».
Par suite, c'est une toute autre piste qui a été explorée, celle du rôle des TIC dans les mutations des établissements publics d'enseignement supérieur et leur évolution vers l'industrialisation (Moeglin et al., 2016).
Dans cette perspective, l'UVF et l'UVA ont toutes deux été saisies comme une « hypertélie », concept développé par G. Simondon (1958) permettant de désigner la suradaptation d'un objet technique dans un milieu inadapté à son fonctionnement. Ces deux dispositifs ont rapidement connu une transformation de leurs formes initiales. Toutefois, à la différence de l'UVF qui reste un dispositif de l'AUF après sa transformation en 2000 en réseau de campus numériques francophones, l'UVA conserve sa forme d'« université virtuelle » mais change de bailleur de fond et passe en 2003 d'un statut d'entreprise privée à celui d'organisation intergouvernementale. Différence non anodine puisque dans le cas de l'UVA, il y a séparation du fond et de la forme caractéristique de la genèse d'un mythe au sens de R. Barthes (1957) dont les concepts de fond peuvent se transformer en tendance générale.
Un concept de fond véhiculé par l'idée d'université virtuelle et donc par l'UVA - celui de la possibilité de s'affranchir d'infrastructures propres - caractérise deux nouveaux types d'universités publiques qu'illustrent l'Université Virtuelle du Sénégal (UVS) créée en 2013 et l'Université Panafricaine (UPA) lancée par l'Union Africaine en 2011-12.
Le lien entre l'UVA et l'UVS est énoncé dans leur dénomination commune d'« université virtuelle », et l'influence de la première sur la seconde est établie avec la participation de l'UVA au projet de lancement de l'UVS.
Quant à l'Université Panafricaine (UPA) dont les enseignements sont délivrés en présentiel, non seulement celle-ci présente une structuration en réseau de centres implantés dans les universités traditionnelles, similaire à celle de l'UVA, mais le projet acté (Union Africaine, 2017) d'intégration de l'UVA en tant que sixième institut dédié à l'enseignement en ligne de l'UPA constitue la réponse apportée au projet d'université virtuelle panafricaine formulé dans l'Agenda 2063.
Notes
[1] plus de 20 millions de dollars (USD) alloués par la Banque mondiale entre 1995 et 2005 mais aussi 7,3 millions de dollars (USD) alloués en 2004 par la Banque Africaine de Développement puis 15,6 millions de dollars (USD) en 2011, auxquels s'ajoutent 12 millions de dollars canadiens alloués par l'Agence canadienne de développement international entre 2003 et 2008.
Bibliographie
BARTHES Roland (1957). Mythologies (réédition de 1970). Paris. Editions du Seuil. Repéré à https://monoskop.org/images/9/9b/Barthes_Roland_Mythologies_1957.pdf
BRETON Philippe (2002). « La société de l'information : de l'utopie au désenchantement », Revue européenne des sciences sociales [En ligne], XL-123 | 2002, http://ress.revues.org/604
LENDRIN Nina (2018). "Université Virtuelle Africaine (UVA) et universités partenaires en Afrique. Entretien commenté", 15 février 2018, Cahiers COSTECH numéro 2. http://www.costech.utc.fr/CahiersCOSTECH/spip.php?article70
LOIRET, Pierre-Jean (2007). L'enseignement à distance et le supérieur en Afrique de l'ouest : une université façonnée de l'extérieur ou renouvelée de l'intérieur ? Thèse de doctorat. Université de Rouen ; https://tel.archives-ouvertes.fr/tel-00192921
MOEGLIN et al. (2016). Industrialiser l'éducation. Anthologie commentée (1913-2012). Presses Universitaires de Vincennes. https://hal.archives-ouvertes.fr/hal-01391767/document
NARDIN Rozenn (2004). « Les universités virtuelles dans le monde entre 1997 et 2001 : mythes et croyances autour de l'enseignement et la formation en ligne », Thèse de Doctorat sous la direction de Jacques Perriault, Université de Paris X.
SIMONDON Gilbert (1958). « Du mode d'existence des objets techniques », éditions Aubier, repéré à https://monoskop.org/images/2/20/Simondon_Gilbert_Du_mode_d_existence_des_objets_techniques_1989.pdf
THIBAULT Françoise (2007). « Enjeux de l'enseignement à distance pour l'université française 1947-2004 », Université Paris-Nord – Paris XIII, Thèse de doctorat en Sciences de l'Information et de la Communication, https://tel.archives-ouvertes.fr/tel-00256278/document
Banque mondiale (2002). « Améliorer les possibilités d'apprentissage en Afrique. L'enseignement à distance et les technologies de l'information et de la communication au service de l'apprentissage », http://siteresources.worldbank.org/INTAFRREGTOPEDUCATION/Resources/444659-1210786813450/ED_Ameliorer_apprentissage_fr.pdf
Union Africaine (2017). « Note conceptuelle sur la mise en œuvre opérationnelle de l'Université virtuelle et en ligne africaine comme la branche d'enseignement libre, numérique et à distance de l'Université Panafricaine » ; https://au.int/sites/default/files/newsevents/conceptnotes/33178-cn-st20575_concept_note_avu_french.pdf