Le discours transgressif dans l'expression musicale urbaine transnationale en Afrique de l'Ouest à l'aune des médias sociaux.
Géraud Ahouandjinou  1@  , Agnès Badou  1@  , Ornheilia Zounon  1@  
1 : Université d'Abomey-Calavi

Les villes africaines constituent des espaces d'éclosion d'une expression artistique musicale aussi bien ancrée dans les identités locales qu'influencée par les rythmes exotiques (Denis-Constant, 2004). Ceci est le miroir de la dynamique et de la création artistique urbaine à travers les innovations vestimentaires, langagières, musicales de tout genre, qui s'exportent au plan sous régional en Afrique et à l'international. Ces créations représentent un véritable terreau de « subcultures » ; notion utilisée par le sociologue Cohen de l'Ecole de Chicago pour évoquer une sous-catégorie culturelle à l'intérieur d'une grande catégorie et qui est source de toute une production artistique en relation avec le développement d'un marché de la culture plus spécifiquement destiné aux jeunes (Raulin, 2001).

Les innovations dans le domaine de la musique urbaine transnationale - de l'axe Lagos-Cotonou-Lomé - se sont fait connaître à partir des années 2000 à travers le mixage de rythmes traditionnels avec des sonorités mondiales comme le RnB, le RAP, le Reggae, la soul musique,... et une recrudescence de l'usage de langues locales comme le Fon, le Yoruba, le Mina, pour rendre compte de sonorités mondiales. Les récents travaux sur la musique africaine révèlent de plus en plus son caractère universel et partagé dans un contexte de globalisation (Bensignor, 2005), (Gaulier et Gary-Tounkara, 2015) et de généralisation des usages de l'Internet mobile de transformation digitale de la société comme on peut le constater au Bénin (Affognon, 2017). Ce constat fait dans la circulation des rythmes, des sons et des émotions véhiculées par la musique, transparaît également dans les paroles, les messages, même si la langue locale utilisée limite la compréhension au-delà des concernés.

C'est dans ce contexte qu'une catégorie de musiques urbaines dans les capitales ouest-africaines, fait appel en plus des sonorités internationales adulées par les jeunes, à des paroles transgressives. Il s'agit le plus souvent de l'usage de phrasés qui banalisent et font l'apologie de phénomènes sociaux comme le sexisme, le viol, l'inceste, l'usage de stupéfiants, etc. Une autre particularité de ces nouvelles musiques est le choix délibéré des jeunes artistes d'user de termes crus, portés sur la sexualité, la violence, la délinquance...et usuellement non tolérés dans les interactions sociales quotidiennes publiques. Ces productions artistiques sont livrées dans un contexte socioculturel marqué par la pudeur, la réserve en ce qui concerne l'exhibition en public de toute velléités sexuelles en particulier et transgressives en général.

Le plus étrange et curieux dans ce contexte conservateur, est l'engouement des jeunes et certains adultes pour ce type de musique mais surtout leur médiatisation par les chaines de télévision, de radio publiques et privées et sur les médias sociaux sans aucune censure. Pourtant, de tels propos transgressifs n'auraient pas pu circuler en discours direct verbal dans les médias. Toutefois, nos constats font état de ce que ces nouvelles musiques transgressives au-delà de leur audience dans les boites de nuit, sur les médias sociaux et sur les chaines de diffusion, n'arrivent pas à jouer la fonction sociale première de la musique en Afrique, celle de l'écoute en public lors de manifestations festives et à l'occasion de regroupements « sérieux » en présence de tiers ainés. Ces nouvelles musiques se trouvent alors en marge de l'un des usages sociaux communicationnels classiques. En outre, elles sortent des répertoires habituels des chansons qui tout comme les contes, évoquent les séquences de la vie courante (vie conjugale, professionnelle, sorcellerie, jalousie, etc.) et tait les réalités sombres pourtant présentes (viol, inceste, etc.)

Au vu de ces constats, notre étude s'est intéressée à ces nouvelles formes musicales transgressives. Dans un premier temps elle a consisté en une analyse communicationnelle et conversationnelle d'un corpus de discours contenu véhiculé à travers ces musiques pour en relever le sens. Ensuite, des entretiens semis directifs ont été menés auprès des protagonistes : artistes, leurs producteurs et des animateurs d'émissions de variétés musicales dans les médias pour recueillir leur motivation dans la composition/diffusion/promotion de ce genre musical mais aussi leur appréciation des retombés sur les carrières des artistes, sur leur renommée, leurs fans et l'opinion publique. Enfin, un questionnaire court a été adressé au jeune public consommateur (étudiants, apprentis, employés, mélomanes) pour apprécier les usages et les fonctions induites par ce genre musical, les motivations, les circonstances, les espaces et les canaux d'écoute, et de partage à l'ère du numérique.

Seront analysés à travers les données recueillies et pour le compte de cette communication, les nouvelles fonctions et nouveaux usages de la musique urbaine en Afrique de l'Ouest. Plus précisément, il est mis en exergue, ces aspects :

- le profil socio anthropologique et les motivations de ces nouveaux musiciens et des consommateurs de leur produit. Au niveau de ces derniers, une attention est accordée aux usages assumés/affichés ou non de ce genre musical ;

- les transformations socio anthropologiques et psychosociales induites par ce genre musical dans l'arène dit du showbiz, mais surtout dans les usages classiques de la musique en Afrique ;

- les déterminants de l'usage de la musique comme canal toléré de transmission du politiquement incorrect, ainsi, nous contribueront à faire ressortir les nouveaux rôles de la musique à travers les changements qui y ont cours (Giuriati, 1996) ;

- les pratiques et usages socio-techniques liés à la consommation des musiques urbaines transgressives.

 

Bibliographie

Affognon P., (2017), Ubérisation de la société béninoise mythe ou réalité ? Revue du Département des Sciences du Langage et de la Communication (DSLC), N°5, Université d'Abomey-Calavi (UAC), République du Bénin, 2e semestre, pp : 498 – 521.

Bachir-Loopuyt Talia et Laborde Denis, 2016, La musique comme anthropologie. Entretien avec Bensignor François, 2005, Afrique contemporaine. La création musicale au miroir de l'histoire. In : Hommes et Migrations, n°1257, Trajectoire d'un intellectuel engagé. Hommage à Philippe Dewitte. pp. 125-133; doi : https://doi.org/10.3406/homig.2005.4884.Denis Laborde, Cahiers d'ethnomusicologie, 29, 193-213.

Denis-Constant Martin, 2004 « Les musiques en Afrique, révélateurs sociaux », Revue Projet, 1er novembre 2004, https://www.revueprojet.com/articles/2004-11-les-musiques-en-afrique-revelateurssociaux/7843

Gaulier Armelle, et Gary-Tounkara Daouda. 2015, Musique et pouvoir, pouvoirs des musiques dans les Afriques. Introduction thématique, Afrique contemporaine, vol. 254, 2, 13-20.

Giuriati Giovanni, 1996, La musique comme nécessité, la musique comme identité culturelle, Cahiers d'ethnomusicologie, 9, 241-258.

Raulin Anne., 2001, Anthropologie urbaine, Paris, Armand Colin, 188p.


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