Analyse de la légitimité des acteurs sur Facebook et Twitter durant l'épidémie d'Ebola de 2019 en RDCongo
Josiane Kanginzila  1@  , Imoa Mahemu  1@  , Christelle Sukadi  2@  
1 : Université de Lubumbashi
2 : Laboratoire d'analyse des Systèmes de Communication des Organisation

La gestion de la communication durant une crise sanitaire constitue un réel défi (Ollivier-Yaniv, 2015) ,d'autant plus que le monopole de diffusion d'information ne revient plus qu'aux formes d'autorités énonciatives traditionnelles (Ministère de la santé, Présidence de la république, experts médicaux,...), et que plusieurs autres acteurs apparaissent dans le nouvel espace public constitué par les réseaux sociaux (Romeyer, 2010). 

En effet, la diversité de médias numériques, bien que révolutionnant le mode de communication de différents acteurs (Chéneau-Loquay, 2010; El Mehdi, 2011; Kiyindou, 2009; Loukou, 2012; Rieder & Smyrnaios, 2012), soulève aussi la problématique d'autorité de certains d'entre eux (Boustany, Broudoux, & Chartron, 2013; Nisrine, 2012; Richaud, 2017). Dans un contexte aussi tendu que celui d'une épidémie, une mauvaise information communiquée sur les réseaux sociaux peut engendrer des risques extrêmement graves pour la population.

 

Il est donc important de questionner la manière dont cette nouvelle forme d'autorité et de légitimité (Ollivier-Yaniv, 2015) se manifeste socialement sur les réseaux sociaux, durant la gestion d'une épidémie. Quels acteurs mobilisent le public, et qu'est ce qui fait leur autorité et leur légitimité dans ce genre ce contexte ? Ainsi donc, cette étude propose de comprendre et d'analyser comment les réseaux sociaux permettent socialement, l'émergence de nouvelles formes d'autorité et de légitimité d'acteurs et de discours.

C'est à travers le cas de la communication sur l'épidémie d'Ebola de 2019 en République Démocratique du Congo (RDC), que nous analysons ce phénomène.

 

Notre cadre théorique repose sur les questions d'autorité (Coenen-Huther, 2005) et de légitimité du discours. A ce propos, Oger (2013) définit les discours d'autorité comme « ceux qui ont de grandes chances d'être obéis, crus, ou suivis d'effet ». Il s'agit également de ceux qui « se prétendent dotés d'un surcroît de légitimité, garants d'une crédibilité supérieure ». Eraly (2015)pour sa part, conçoit l'autorité comme un processus plutôt qu'un état.

Il existe donc un lien étroit entre l'autorité et la légitimité (Charaudeau, 2004) puisqu'analyser l'autorité du discours consiste à comprendre le contexte dans lequel le discours est tenu pour légitime et efficace (Maingueneau, 2009). Malgré tout, un discours bâti autour de l'argument d'autorité n'a de sens que s'il est prononcé par quelqu'un jouissant de l'autorité nécessaire pour émettre un tel propos sans jamais avoir à le justifier (est-il fondé, pertinent ?) ni à se justifier (suis-je autorisé à le prononcer ?) » (Siroux, 2008, p. 21‑22). C'est en ce sens que nous analyserons également le lien entre l'autorité des individus et leur « popularité » sur les réseaux sociaux. La légitimité permettrait de différencier le pouvoir de l'autorité, cette dernière étant considérée comme un pouvoir légitime (Charmettant, 2012).

Le Docteur Muyembe, un des codécouvreurs de ce virus, identifie la communication comme un des défis majeur dans la lutte contre Ebola[1].

 

Dans notre démarche méthodologique, nous avons choisi comme cas d'étude les publications portant sur Ebola durant la dernière épidémie de 2019 en RDC, sur Twitter et Facebook. Comme le disent Clavier et Romeyer (2008) analyser les discours en SIC suppose à la fois un travail sur l'énonciation (son contexte et son auteur), une démarche d'analyse linguistique des énoncés, une démarche d'analyse sociologique des énoncés.

A partir de l'Hashtag EBOLA, nous avons identifié des publications d'acteurs ayant le plus grands nombre d'interactions.

Ensuite, nous avons catégorisé les acteurs et pages les plus pertinents (nombre de like et retweet sur les post pour Twitter, et de like des pages pour Facebook) selon qu'ils sont classiques, c'est à dire les acteurs clés officiels dans la gestion d'une épidémie ; ou qu'il s'agisse d'acteurs sociaux engagés de manière ponctuelle.

 Dans une démarche à la fois quantitative et qualitative, nous avons pu analyser les contenus postés (thèmes, sujets), ainsi que les interactions (like, retweets, commentaires) avec les abonnés. Cette étape permet de comparer les publications entre les deux catégories d'acteurs, les conditions sociales de constitution de leur autorité, et ainsi comprendre dans cette perspective la dynamique de légitimité sur les réseaux sociaux.

Nous observons dans les pratiques que des acteurs non classiques(artistes, politiciens, ...) se sont révélés être très présents, et suivis par la population sur les réseaux sociaux.

Comme indiqué plus haut, notre analyse a porté sur les publications sur Facebook et Twitter.

 

De manière chiffrée, l'on remarque que le post le plus liké de la page du ministère de la santé de la RDC portant sur la maladie n'a reçu que 17 likes, 04 commentaires et 04 partages. Le constat n'est pas très différent pour la page spécialement créée pour la riposte contre Ebola dont l'engagement ne dépasse pas 7 en termes de like bien qu'il ait reçu par la suite 98 commentaires. @UNICEF AFRICA sort du lot avec un post dont les interactions dépassent la barre de 700 likes.

Dans la catégorie de ceux qui sont intervenus ponctuellement dans la lutte contre l'épidémie, l'on enregistre la page de l'artiste musicien Ferre Gola (264 739 abonnés) avec plus de 1000 likes et 244 partages pour un post de sensibilisation.

Sur Facebook, contrairement à Twitter, les commentaires ainsi que les partages sont des indicateurs incontournables dans l'analyse des faits.

Six pages Facebook se sont révélées intéressantes de par la portée de leur publication. Trois d'entre elles, à savoir @MINISTERE DE LA SANTE RDC, @UNICEF AFRICA et @PORTAIL RIPOSTE EBOLA, font le bloc des communicants classiques, alors que les trois autres, à savoir @FERRE GOLA, @HABARI RDC et @ACTUALITE.CD, sont des intervenants ponctuels mais ayant obtenu des engagements considérables de la part de leur communauté.

Il en ressort après analyse que tout comme ils sont réceptifs aux messages d'information sur Facebook venant des autorités énonciatives traditionnelles, les followers sont aussi très réceptifs, bien mieux quelques fois, aux messages postés par certains leaders en qui ils reconnaissent la légitimité.

Sur twitter, nous avons pris un échantillon de 10 comptes dont 6 des acteurs classiques et 4 des non-classiques. Parmi les classiques, le post concernant la démission du Dr Oly ILUNGA publié sur son propre compte a obtenu le plus grand nombre de like. Avec un total de 6823 abonnés, cette publication a obtenu 638 likes (https://twitter.com/OlyIlunga/status/1153295778275909634?s=20 ), suivi du post de Tedros Adhanom (407.7 K abonnés), Directeur Général de l'OMS, qui a obtenu 422 likes sur son post à propos du dernier cas de Ebola guéri à Chowe (https://twitter.com/DrTedros/status/1173524714083540992). En 3e position, le post de Présidence RDC(163.8K abonnés) portant sur l'aide supplémentaire de l'Union Européenne dans la lutte contre Ebola qui a obtenu 348 likes(https://twitter.com/Presidence_RDC/status/1174792013771919360). En 4e position vient le post de OMS en RDC(2834 abonnés) portant sur les deux vaccins efficaces contre Ebola avec 244 likes (https://twitter.com/OMSRDCONGO/status/1160967646843744257), en 5e position le Ministère de la santé(9720 abonnés) avec le post sur l'arrivée du Ministre national de la Santé à Goma accompagné du Dr Muyembe. Cette publication a obtenu 112 likes (https://twitter.com/MinSanteRDC/status/1173543438282833920). Et en 6e position MSF International (134.6K abonnés) avec 63 likes pour le post sur le manque de transparence de la part sur l'utilisation du vaccin contre Ebola (https://twitter.com/MSF/status/1176047297114910722).

 

Quant aux comptes non-classiques, la publication du journaliste Christian Lusakueno(80.6 K abonnés) sur la rencontre du Président de la RDC et Bill Gates à propos de la lutte contre Ebola a obtenu 1.8K likes (https://twitter.com/lusakuenoc/status/1176587560027611139), suivi de celui de Moïse Katumbi( 610.7 K abonnés) sur sa tournée de sensibilisation contre Ebola au a obtenu 1.7K likes (https://twitter.com/moise_katumbi/status/1164271422912565249), ensuite celui de Lucha RDC(203.3K abonnés) sur les féicitations au Dr Muyembe pour le vaccin contre Ebola qui a obtenu 620 likes (https://twitter.com/luchaRDC/status/1161520821170581504), et enfin le post d'Antonio Guterres( 666.1 K abonnés) sur l'optimisme des survivants d'Ebola qu'il a rencontré. Ce post a obtenu 583 likes (https://twitter.com/antonioguterres/status/1168332429511286784).

 

De ces éléments, on peut voir que les acteurs qui réagissent ponctuellement dans la lutte contre l'épidémie, comme c'est le cas pour le compte du journaliste Christian LUSAKWENO, réunissent un nombre considérable d'interactions mieux d'ailleurs que certains comptes des autorités énonciatives. On peut observer le même fait pour ce qui est du compte de Moise Katumbi portant sur sa tournée de sensibilisation sur la maladie à virus Ebola. De manière classique, seul le compte du docteur Oly ILUNGA a pu faire mieux depuis le début de l'année 2019 dans cette catégorie. On enregistre, en effet, 638 likes pour 6823 abonnés avec son poste de démission de la tête du ministère national de la santé.

Les résultats issus de cette étude démontrent clairement que les réseaux sociaux seraient à la base de la déconceptualisation, sinon de la redéfinition de la notion de légitimité.

 

 

 

Bibliographie

Boustany, J., Broudoux, É., & Chartron, G. (2013). Introduction. Diversification des médiations informationnelles. Consulté à l'adresse https://www.cairn.info/la-mediation-numerique-renouvellement--9782804182274-page-7.htm

Charaudeau, P. (2004). Comment le langage se noue à l'action dans un modèle socio-communicationnel du discours. De l'action au pouvoir. Cahiers de linguistique française, (26). Consulté à l'adresse http://www.patrick-charaudeau.com/Comment-le-langage-se-noue-a-l,90.html

Charmettant, H. (2012). Distinguer l'autorité du pouvoir par la légitimité. Cahiers d'economie Politique / Papers in Political Economy, n° 62(1), 37‑73.

Chéneau-Loquay, A. (2010). L'Afrique au seuil de la révolution des télécommunications : Les grandes tendances de la diffusion des TIC. Afrique contemporaine, 234(2), 93. https://doi.org/10.3917/afco.234.0093

Clavier, V., & Romeyer, H. (2008). Travailler sur les discours en SIC : le cas des discours sur le cancer. Communication présenté à Congrès de la SFSIC. Consulté à l'adresse http://www.sfsic.org/congres_2008/spip.php?article85

Coenen-Huther, J. (2005). Pouvoir, autorité, légitimité. En marge d'un livre récent d'Alain Renaut. Revue européenne des sciences sociales. European Journal of Social Sciences, (XLIII‑131), 135‑145. https://doi.org/10.4000/ress.471

El Mehdi, I. K. (2011). Gouvernance et TIC : Cas des pays d'Afrique. Recherches en Sciences de Gestion, 86(5), 63. https://doi.org/10.3917/resg.086.0063

Eraly, A. (2015). Autorité et légitimité. https://doi.org/10.3917/eres.eraly.2015.01

Kiyindou, A. (2009). Technologies de l'information et de la communication et expression culturelle africaine. Présence Africaine, 179180(1), 41. https://doi.org/10.3917/presa.179.0041

Loukou, A. F. (2012). « Les TIC au service du développement en Afrique ». Simple slogan, illusion ou réalité ? tic&société, (Vol. 5, n°2-3). https://doi.org/10.4000/ticetsociete.1047

Maingueneau, D. (2009). Les termes clés de l'analyse du discours (du Seuil).

Nisrine, Z. (2012). Réseaux sociaux numériques : Essai de catégorisation et de cartographie des controverses (Rennes 2). Consulté à l'adresse https://www.etudier.com/dissertations/Intitulé-De-La-Thèse-Réseaux/618498.html

Oger, C. (2013, décembre 2). Fondements et formes de l'autorité en discours, Dossier d'habilitation à diriger des recherches en sciences de l'information et de la communication. Université Paris-Sorbonne (CELSA).

Ollivier-Yaniv, C. (2015). La communication publique sanitaire à l'épreuve des controverses. Hermes, La Revue, n° 73(3), 69‑80.

Richaud, C. (2017). « Les réseaux sociaux : Nouveaux espaces de contestation et de reconstruction de la politique ? ». Les Nouveaux Cahiers du Conseil constitutionnel, N° 57(4), 29‑44.

Rieder, B., & Smyrnaios, N. (2012). Pluralisme et infomédiation sociale de l'actualité : Le cas de Twitter. Reseaux, n° 176(6), 105‑139.

Romeyer, H. (2010). Introduction : Santé et espace public. Consulté à l'adresse https://www.cairn.info/la-sante-dans-l-espace-public--9782810900336-page-5.htm?contenu=resume

Siroux, J.-L. (2008). La dépolitisation du discours au sein des rapports annuels de l'Organisation mondiale du commerce. Mots. Les langages du politique, (88), 13‑23. https://doi.org/10.4000/mots.14223

 


[1] Communication du Docteur Muyembe lors du 9ème Congrès international sur la pathologie infectieuse et parasitaire, organisé par l'Université de Lubumbashi et l'INRB (Institut National de Recherche Biomédicale), du 20-23 juin 2018 à Lubumbashi, RDC.


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